Saut en hauteur : les 3 derniers appuis, l’appel et le décollage
Analyse technique du saut victorieux de Mariya Lasitskene à 2m03 – Championnats du Monde Londres 2017. C’est Yves Gérard qui s’y colle, entraîneur du groupe de hauteur du CREPS de Wattignies, et entraîneur national de la hauteur de 1993 à 2001.
CONTEXTE : Cette athlète a une course d’élan de 9 foulées avec départ arrêté. Souvent, les athlètes optent soit pour 7 foulées avec départ lancé, soit pour 9 foulées, départ arrêté. Partir arrêté permet de mieux gérer sa vitesse de course, pour gérer l’excitation liée à la montée de la barre au fil des concours, surtout chez les athlètes moins expérimentés.
PHOTO 1 : Nous sommes sur l’antépénultième appui, sur le pied gauche. Elle entre dans le dernier rayon de courbe. Souvent, on observe un premier rayon de courbe 5 appuis avant la fin, et un deuxième rayon 3 appuis avant la fin. Cela permet d’avoir un peu plus d’inclinaison et de créer un déséquilibre qui augmente de manière naturelle la fréquence des appuis, tout en conservant la puissance de l’appui au sol. Son regard est pointé sur la barre, et ce sera la cas tout au long de sa phase d’élan. Elle pose l’appui à plat, ce qui est relativement caractéristique d’un style russe. Le pied gauche est orienté dans la direction vers laquelle elle va. On note une légère anticipation de la ligne d’épaules dans l’entrée de virage, mais c’est aussi dû à l’avancée du bras droit, et cela reste du détail. Il n’y a pas de grosse distorsion entre la ligne d’épaules et le bassin.
PHOTO 2 : Il n’y a pas d’extension de la jambe d’appui, ce qui permet au tronc de se dresser. C’est à ce moment-là que le sauteur devient sauteur et cesse d’être coureur. Elle prépare ainsi la déviation du centre de gravité. Le pied droit est armé, on peut anticiper un passage de l’appui sur le talon. Les bras commencent à passer d’une action alternative à une action simultanée, vers l’arrière. On pourrait croire qu’elle a un léger retrait des épaules, mais ça n’est pas très marqué.
PHOTO 3 : Nous sommes juste après le passage du bassin à la verticale du pied, au moment où celui-ci est à plat au sol. Cet avant-dernier appui détermine la qualité de l’impulsion. C’est un appui puissant, fait sur une force excentrique, avec la jambe droite légèrement fléchie. La rotation se fait autour de la cheville, avec un genou hyper solide. Les coudes sont passés dans le plan postérieur, derrière un tronc droit. Les mains sont encore relâchées.
PHOTO 4 : L’appui se pose à la perpendiculaire du premier poteau, on le voit grâce à la ligne au sol, dans l’axe, avec un alignement pied-bassin-épaule. La jambe d’impulsion est tendue. L’épaule droite est plus haute que l’épaule gauche, ce qui traduit certainement une inclinaison. La ligne d’épaules est très légèrement en rotation, l’épaule droite étant un peu plus avancée. La ligne de bassin reste perpendiculaire à la trajectoire de course. Le pied droit est haut, ce qui laisse présager un retour du pied droit sous la fesse, pour avoir un segment libre fléchi et donc une action plus rapide. Sa main gauche s’ouvre et on devine son action future. C’est un point important de son saut. Elle la maintient fermement pour qu’elle ne parte pas n’importe où. Il ne faudrait pas que son épaule gauche recule à ce moment-là, car cela n’irait pas dans le sens du mouvement, c’est-à-dire vers le haut et vers l’avant.
PHOTO 5 : Les bras sont repassés devant. Remarquez cette main gauche en tension, que nous retrouverons par la suite. J’ai calculé que la flexion jambe-cuisse est d’une trentaine de degrés, ce qui est dans la norme. A titre de comparaison, Barshim a franchi 2m41 avec un angle de 10° seulement, et Kostadinova était même à 5° de flexion lors d’un saut à 2m04, ce qui est monstrueux. Son regard est toujours fixé sur la barre. Ses lignes de bassin et d’épaules sont parallèles dans le plan orthogonal. L’épaule droite avance bien, et elle passe devant l’appui sur la photo suivante.
PHOTO 6 : Ce qui est remarquable ici, c’est l’alignement pied-bassin-épaule. Il n’y a aucune déperdition au niveau des forces. Elle est également parfaitement gainée. L’action de ses bras est simultanée, très proche de l’axe longitudinal du corps, pour perdre le moins d’énergie. Le genou droit est à peu près à 90°. Les lignes de bassin et d’épaules sont toujours parallèles, cela fait partie de l’école russe. Son corps a effectué un balayage du secteur par rapport au moment du décollage. Le bassin a passé le pied, le saut va donc vers l’avant. La rotation sur l’axe longitudinal est commencée, bien qu’elle n’ait décollé que de 10 ou 15cm. La rotation dans le plan frontal est quasiment terminée, puisqu’elle est au niveau du bassin. J’ai calculé qu’elle avait décollé entre 5 et 10° après la verticale.
PHOTO 7 : Le bras gauche est revenu complètement vers l’épaule droite pour éviter une ouverture qui la projetterait vers l’arrière, et mettrait en péril les alignements. La tête est toujours dans le prolongement du rachis. C’est important car, bien souvent à ce moment-là, les jeunes sauteurs ont tendance à avoir la tête en extension dès qu’ils posent le pied au sol. Elle tend sa jambe libre. Ainsi, en éloignant son pied droit du centre de gravité, qui est à peu près au niveau de son nombril, ses épaules partent un peu vers l’arrière, ce qui l’aide à se mettre en position de franchissement. Ce qui est très important, c’est que les omoplates montent jusqu’à la hauteur de la barre. Là où passe l’épaule, passent les crêtes iliaques. Le bras gauche est toujours fixé, et toujours devant. Tout au long du saut, les bras restent dans le plan antérieur du tronc.
PHOTO 8 : La tête est toujours dans le prolongement du rachis, parce que je pense que Mariya ne sait pas ou n’a pas appris à la mettre en extension, puisqu’elle ne le fait jamais. On peut faire mieux, mais il vaut mieux ça que se regarder le nombril. Sa jambe droite est toujours tendue, ce qui fait que le franchissement n’est pas exceptionnel. Sa main gauche est toujours en tension, comme bloquée. On remarque qu’elle n’avance pas beaucoup dans son saut. Elle saute dans le premier tiers de la barre. C’est certainement dû à sa forme de saut, assez verticale. Cependant cela veut dire qu’il faut avoir l’intention de sauter devant la barre plutôt que vers celle-ci. Ce que ne montre pas le kinogramme mais qu’on peut voir en visionnant le saut sur youtube, c’est que Mariya arrive bien dans le deuxième partie du sautoir, ce qui prouve l’excellente qualité de son dernier appui.
CONCLUSION : C’est un saut parfaitement maîtrisé. Elle sautait déjà de cette façon en junior, et son record à l’époque était déjà d’1m97. Elle en a aujourd’hui 25, et elle a accumulé des sauts de ce type-là par milliers. Il faut souligner que rien n’est improvisé, elle fait le même saut, que la barre soit à 1m90 ou à 2m03. C’est comme un automatisme. Beaucoup de sauteurs ont comme défaut de vouloir changer des choses à mesure que la hauteur augmente. Elle, au contraire, est d’une constance impressionnante.
Source : Athlétisme Magazine – février mars 2018
Mais, ou sont les autres photos? 5-6-7-8?
Je vous assure, elles y sont.