Pour en finir avec le tabou des règles
Prolongement de l’article tiré de l’Equipe Magazine du 17 février 2017.
Entretien avec Carole Maitre, gynécologue de l’INSEP. Elle évoque les différentes perturbations qui motivent les consultations des sportives. Et les risques associés, loin d’être anodins.
Les règles sont-elles un sujet de préoccupation dans vos consultations ?
Oui. Beaucoup de sportives, voire de médecins, ne sont pas informés. Il y a un module de 2h sur la femme sportive dans la formation de médecine du sport, mais il n’est pas obligatoire … Longtemps, la femme entraîneure a été une exception, et les hommes pouvaient considérer le mal de ventre comme un alibi. Les règles sont un sujet dont on ne parle pas assez.
Pourquoi les sportives vous consultent-elles ?
20% d’entre elles parce qu’elles n’ont pas de règles. L’aménorrhée spontanée touche de 10 à 40% des filles selon le sport. Elles finissent par se poser des questions, car ce n’est pas dans la norme. Mais le cas le plus fréquent, à 50-60%, c’est pour demander un décalage ponctuel.
L’absence de règles est souvent considérée comme pratique …
Mais le côté pratique est balayé par le risque à court, moyen et long terme. Cela entraîne des blessures. La diminution des sécrétions en oestrogène, dont l’os a besoin, a un impact sur la densité minérale osseuse. Même en prenant des traitements, on ne récupère pas forcément tout. J’ai reçu dernièrement une jeune femme qui, à 22 ans, avait subi 2 fractures de fatigue. Ce n’est pas acceptable ! Les oestrogènes interviennent aussi dans le métabolisme énergétique. Ils favorisent l’entrée du glucose dans les cellules musculaires, puis le stockage du glycogène. En aménorrhée, la fatigue est plus grande.
Qu’est-ce qui provoque cette aménorrhée ?
Face à la quantité d’entraînement, la prise nutritionnelle n’apporte plus assez de calories par rapport à la dépense énergétique. Quand cette réserve intervient juste pour assurer le métabolisme de base, l’organisme a une stratégie d’épargne. Forcément, il ne met pas au repos le coeur ou le cerveau, mais un organisme non vital : le système de stimulation de l’ovaire.
Décaler ses règles à répétition est-il un problème ?
Pas si c’est pendant 3 ou 4 mois. En fait, ce ne sont pas les règles elles-mêmes qui dérangent, mais la semaine qui les précède, celle du syndrome prémenstruel. Dans l’étude que nous avons menée sur 363 sportives à l’INSEP, en 2008-2009, 83% ont dit en souffrir. Au moment des règles, les oestrogènes peuvent stimuler le système de rétention d’eau et favoriser la prise de poids. On peut aussi trouver un peu d’instabilité articulaire et ligamentaire.
Quels autres problèmes rencontrent les sportives ?
Des règles qui tardent à venir ou arrivent n’importe quand. Or, les cycles très longs ont les mêmes répercussions métaboliques qu’une aménorrhée. 75% des sportives nous disaient avoir des cycles irréguliers. Et pour les sports débutés très jeunes, comme la gym, il peut y avoir une aménorrhée primaire pour les mêmes raisons. Jusqu’à 17 ans, on n’intervient pas. Après, on peut donner un traitement. Des premières règles apparaissent à 20 ans peuvent entraîner un problème de densité osseuse. L’atteinte de la taille définitive est décalée, mais pas touchée. Notre étude a montré que l’âge moyen d’apparition était de 13 ans et 2 mois, ce qui est très similaire à la population générale.
Comment gérer les douleurs des règles en compétition ?
Des travaux montrent qu’on peut être gêné par la dysménorrhée (règles douloureuses) à l’entraînement – 65% disent en souffrir dans notre étude – mais que les douleurs ont tendance à disparaître en compétition. Le niveau de bêta-endorphines alors sécrétées est tel que le seuil de sensibilité à la douleur explose.
Leur déclenchement peut-il être psychologique ?
Oui, parfois la sportive va tellement stresser que ses règles vont arriver. Si elles peuvent être bloquées pour des raisons psychologiques, elles peuvent se déclencher pour la même raison, quand on ne les attendait pas, par somatisation.
Certains traitements peuvent-ils être assimilés à du dopage ?
Rien de ce que je prescris n’est interdit. Les traitements hormonaux n’atteignent pas des proportions telles qu’un passeport biologique pourrait être perturbé. On pourrait avoir besoin d’AUT (autorisation à usage thérapeutique) plus tard, lors d’une stimulation d’ovulation pour un désir de grossesse. Mais c’est un autre sujet.