Repartir de zéro
Août 1999, Pierre Bonvin, entraîneur national du 400m et observateur de l’évolution de l’athlète, s’entretenait avec un journaliste de Libération, sur les conditions d’un retour à très haut niveau, de Marie-Jo Pérec. Voici l’entretien en intégralité.
Repartir de (quasi) rien pour tenter de (presque) tout retrouver. C’est la nature du défi de Marie-Jo Pérec. Entre virus, doute et blues, la sprinteuse dorée à l’or fin sur 200 et 400m a passé près de 2 ans hors des pistes. Peut-elle renouer avec le succès ? Non, si l’on s’en tient à ses 2 modestes chronos depuis son retour à la compétition, le 28 juillet. Peut-être, si l’on accorde le bénéfice du doute à une athlète hors du commun.
Quelle est la difficulté majeure pour un athlète de haut niveau qui veut renouer avec la compétition ?
Sortir du vide, retrouver ses repères, défier la peur. Il faut recoller avec la réalité de la compétition. Or, contrairement à la plupart des athlètes, Marie-Jo Pérec a arrêté au sommet. A l’entraînement, il y a de la complicité, de l’amitié, de l’aide. En compétition, on est seule face à la piste, au public et aux autres athlètes. C’est terrible, violent, mais irremplaçable. Et de la confrontation, Pérec en manque cruellement. C’est la raison pour laquelle elle veut tant en bouffer. Avec des risques de saturation.
Où se situe le plus gros défi : dans le corps ou l’esprit ?
Il est mental, bien sûr. Même si techniquement, la difficulté est réelle : un athlète de retour après blessure doit engranger une charge de travail énorme dans un laps de temps réduit. Marie-Jo a dû ainsi emmagasiner un travail foncier (volume de travail), puis spécifique (techniques axées sur la course). Résultat, sur 200m, elle peine aux 150m, force son corps, cherche ses automatismes, a du mal à conserver son placement. Ses épaules sont contractées, ses muscles noués. La perte d’énergie, donc de vitesse, est considérable. Elle le sait. Les deux performances qu’elle vient de réaliser sont un bond en arrière, qui la renvoient plus de 9 ans plus tôt.
Comment s’accommoder du sentiment de régression et du regard des autres ?
La régression, l’athlète doit l’accepter. Le regard des autres, mieux vaut ne pas le voir. Ce que fait très bien Pérec, c’est sa grande force. Sa marge de progression est énorme. Elle peut gagner jusqu’à au moins une seconde. Et pourrait surprendre en revenant vite aux alentours de 22”30.
Le dopage frappe en particulier les athlètes blessés, pressés de recouvrer leur rang. La tentation peut être grande. Je ne pense pas que Pérec y ait succombé. De toute façon, elle n’en a pas le droit. Son talent et son rang doivent l’exclure d’une telle dérive. Et rien dans ses piètres performances ne permet d’affirmer qu’elle s’est dopée, au contraire. Ses résultats plaident pour son honnêteté et son intégrité.
Quelles peuvent être les motivations d’un tel retour ?
Le besoin de compétition, la volonté de re-sentir la piste, la soif de victoire et de reconnaissance, la pression des sponsors. Pour l’instant, Marie-Jo Pérec est servie. Les médias commentent abondamment et avec bonhomie son retour. Elle retrouve là l’auréole de la championne volontariste, courageuse. Mais cette période est éphémère. Marie-Jo le sait. Elle connaît les exigences médiatiques. Soit elle compte sur un déclic avant le Mondial de Séville, fin août, soit elle retrouve des sensations pour les JO de 2000 à Sydney. Et mise sur une prouesse inédite sur 400m : rafler une troisième médaille d’or olympique.
Revenir ainsi de l’ombre impose une part de souffrance ou de sacerdoce. Comment vit-on une si longue absence ?
Il y a 3 manières pour un champion de revenir d’une aussi longue blessure. Primo : ne pas revenir du tout. C’est le refus de ceux qui ont peur de repartir de quasi-zéro, qui savent qu’ils ne reviendront pas. Secundo : revenir pour voir, tout en sachant qu’on ne verra pas grand chose. C’est ce que font ceux qui acceptent de mourir en pointillé mais continuent à se faire plaisir. Tertio : revenir et retrouver son rang. C’est le plus risqué et le plus inédit : il n’y a guère d’antécédent de sprinters avec un passé exceptionnel qui ont renoué avec le succès. Mais comme Pérec est une athlète exceptionnelle, elle créera peut-être un précédant.